Il y a des commémorations qui ne sont pas seulement des cérémonies. Elles deviennent des moments de mémoire collective. C’est ce qui s’est passé lors de la première commémoration du départ d’Elias Khoury. Sous le patronage du Premier ministre, et à l’invitation du ministre de la Culture, un hommage vibrant lui a été rendu à la Bibliothèque nationale.

Sa famille, ses amis, des responsables politiques et des figures culturelles étaient présents. Des mots d’admiration ont résonné. Des souvenirs aussi. Et surtout cette idée qu’Elias Khoury n’était pas seulement un écrivain, mais un souffle. Un souffle de liberté.
Parler d’Elias Khoury, c’est parler de cette obsession de la liberté. Elle traversait ses mots, ses gestes, ses prises de position. Ce n’était pas une liberté abstraite. Elle avait toujours un visage, un lieu, une douleur. Le Liban marqué par ses fractures. La Palestine blessée mais résistante. Les peuples arabes en quête d’air. Dans sa voix, il y avait toujours ce refus de la résignation. Ce goût de l’espoir, même dans la noirceur.

Quand on lit Elias Khoury, on entre dans un monde où la littérature devient un champ de bataille. Ses romans ne racontent pas seulement des histoires. Ils sont traversés de cris, de silences, de mémoire.
« Bab el Shams » en est l’exemple le plus éclatant. Ce livre n’est pas qu’une fresque sur la Palestine. C’est une méditation sur l’exil, la perte, la survie. Chaque page est habitée par des voix multiples. Elles se croisent, se répondent, se heurtent. On en sort bouleversé, mais aussi plus conscient.
Il avait cette manière unique de travailler la langue. Pas de fioritures gratuites. Mais une densité. Une force qui frappe. Un rythme qui fait écho à l’oralité arabe, tout en ouvrant vers une écriture moderne, audacieuse. Elias Khoury savait faire parler ses personnages comme s’ils étaient assis à côté de nous. On les entend respirer, douter, espérer. Il leur donnait une humanité entière, fragile et lumineuse.

Son style, c’est aussi ce mélange de réel et de fiction.
Chez lui, la frontière est poreuse. Le vécu personnel se fond avec l’histoire collective. Un témoignage devient roman. Le roman devient mémoire. Ce choix n’était pas un hasard. C’était sa manière de dire que les récits des peuples, souvent effacés ou ignorés, méritent une place dans la littérature. Pour lui, écrire, c’était sauver de l’oubli.
Elias Khoury n’était pas seulement romancier. Il était journaliste, critique, enseignant. Il a écrit des chroniques, dirigé des suppléments culturels, animé des débats. Son rôle était aussi celui d’un passeur. Il faisait découvrir d’autres écrivains. Il commentait, questionnait, transmettait. On lui doit une manière nouvelle de lire la littérature arabe. Une manière plus exigeante, mais aussi plus libre.
Quand je pense à Elias Khoury, je pense à un regard.

C’était un regard vif, inquiet parfois, mais toujours ouvert. Il écoutait, ne se plaçait pas au-dessus. Il donnait de l’espace aux autres. Même dans ses interventions publiques, il restait proche, presque familier. On sentait l’homme derrière l’intellectuel. L’humain derrière l’écrivain.
Il y avait en lui une fidélité.
Fidélité à la cause palestinienne, à son pays malgré ses blessures. Fidélité à une certaine idée de la culture comme résistance. Cette fidélité ne l’a jamais quitté. Même quand il enseignait à l’étranger, il restait relié à Beyrouth, à ses rues, à ses contradictions.
Aujourd’hui, lire ou relire Elias Khoury, c’est dialoguer avec un homme qui a transformé l’écriture en acte de liberté. C’est se confronter à des vérités parfois dures, mais nécessaires. C’est accepter que la littérature ne soit pas un refuge, mais une secousse.

Je garde de lui cette impression d’une voix qui ne s’éteint pas. Ses livres continuent de circuler. Leurs personnages continuent de parler. Ses idées continuent de bousculer.
Et au fond, n’est-ce pas cela la véritable immortalité d’un écrivain ? Ne pas disparaître avec sa génération. Mais rester vivant dans chaque lecteur qui le découvre.
Elias Khoury n’a jamais cherché les honneurs. Il cherchait la vérité des mots. C’est peut-être pour cela qu’il touche encore. Ses récits ne sont pas des monuments froids. Ils vibrent, respirent et nous accompagnent dans nos propres interrogations.
Son départ a laissé un vide. Mais ce vide n’est pas silence. Il est rempli par ses livres. Par ses engagements. Par la trace indélébile qu’il a laissée. Lire Elias Khoury, c’est apprendre à ne pas céder. À ne pas fermer les yeux. À croire encore dans la puissance de la littérature.

2 commentaires
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